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Wadi Bouzar (Sociologue)

Date de création: 02-07-2023 12:43
Dernière mise à jour: 02-07-2023 12:43
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EDUCATION- PERSONNALITES- WADI BOUZAR (SOCIOLOGUE)

WADI BOUZAR, UN SOCIOLOGUE EXTREMEMENT SINGULIER

© Pr Ahmed Cheniki, fb, juin 2023

C’est peut-être, c’est l'un des plus grands sociologues du Maghreb, l'un des plus inventifs. Wadi Bouzar est d’une grande timidité, il écrit beaucoup, mais apparemment peu connu en Algérie, lui qui a formé énormément de monde à l’université d’Alger et ailleurs. Quelque peu solitaire, Bouzar lit toujours, à 85 ans, ce proche d’Alain Touraine, notamment dans sa conception de la société comme mouvement, écrit encore, lui qui s’intéresse à tout, la littérature, les arts, l’anthropologie, la politique, les médias à tel point qu’il paraît inclassable. J’ai eu l’extraordinaire chance de l’avoir comme enseignant à l’université d’Alger et de lire presque tous ses ouvrages, c’est l’un éléments bibliographiques essentiels de ma thèse soutenue il y a plus d’une trentaine d’années à Paris 4-Sorbonne.

A l’université d’Alger, il y avait, il faut le souligner, de très grands professeurs qui avaient cette capacité, aujourd’hui vraisemblablement absente, de produire des savoirs singuliers. Bouzar nous a appris à lire la littérature autrement, de conjuguer le monde au pluriel et de partir du terrain pour interroger tout fait, discours ou événement. Son texte sur l’image est fondamental, tout chercheur en sciences sociales devrait le lire, comme d’ailleurs sa conception de l’altérité (identités nomades) et son questionnement sans complaisance de l’œuvre de Jacques Berque ( Jacques Berque et son « autre »).

C’est peut-être le sociologue qui a le mieux, avec Jean Duvignaud, interrogé les rapports de l’art et de la société. Ce compagnonnage avec Duvignaud est tout à fait évident. D’ailleurs, il a participé à un ouvrage collectif dirigé par le sociologue français, avec un texte intitulé, Images de la société algérienne à travers le discours littéraire : essai de sociologie de la création : la mouvance et la pause. Ce titre est une sorte de synthèse de toute l’œuvre de Bouzar qui a publié de très nombreux articles et ouvrages (La Culture en question, SNED,1982 ; Lectures maghrébines OPU, 1984 ; La mouvance et la pause : regards sur la société algérienne, Préface de Jean Duvignaud, SNED ; Roman et connaissance sociale, OPU, 2006). Il ne se limite pas uniquement à la lecture critique de la littérature et des arts, mais produit aussi des textes romanesques extrêmement beaux que devraient découvrir nos universitaires et les passionnés de la littérature (Les fleuves ont toujours deux rives, ENAL, 1986 ; Les papillons, la nuit, 2007).

Wadi Bouzar est, certes, discret, travaillant essentiellement en solitaire, questionnant le discours littéraire, politique, social et médiatique, mais n’est nullement mutique ou silencieux. Pour lui, l’intellectuel n’a nullement le droit d’accepter un état de subordination ou d’assujettissement à quelque structure ou personne. C’est cette idée d’autonomie qui caractérise son parcours. Ses amis, Djaout, Mammeri, Mimouni et Lounes appréciaient beaucoup ce sociologue-écrivain qui n’avait pas la langue dans sa poche.

En juin 2019, il avait accordé un entretien au quotidien L’expression, qui reste toujours d'actualité et qu'il serait bon de lire ou de relire, tellement il pose de vraies questions, il donnait à lire l’importance du droit et de l’Etat de droit en partant du terrain social et politique tout en convoquant Montesquieu, Locke, Hobbes : « La priorité est de créer un Etat de droit, tâche difficile, longue et délicate, parcours semé d’obstacles en raison des habitudes prises depuis longtemps par des groupes et des individus. (…) Le citoyen doit avoir le droit de réclamer, de se plaindre, de porter plainte sans difficulté. L’Etat de droit se joue d’abord dans ces « détails », dans la vie quotidienne. ». Il a tenté dans cet entretien accordé au journaliste Hocine Neffah (L’expression du 10 juin 2019) d’expliciter le concept d’Etat de droit : « Qui dit Etat de droit dit primat de la justice, séparation des pouvoirs et indépendance du pouvoir judiciaire. Le philosophe anglais John Locke (1632-1704) énonce, dans son « Second Traité du gouvernement civil » (1690), le principe de la séparation des pouvoirs, repris plus tard par Montesquieu (1689-1755) dans « L’esprit des lois » (1798). Les trois pouvoirs coopèrent entre eux et se contrôlent mutuellement. Les juges n’ont pas de comptes à rendre aux élus. Dans un Etat de droit, il est très difficile de les destituer. Leur indépendance est totale. Ils peuvent juger quiconque, l’Etat ou les gouvernants. Leur indépendance est d’autant plus grande qu’ils ne sont pas les auteurs des textes de loi, hormis la jurisprudence ».

En sociologue averti, travaillé par les jeux du mouvement (il préfère utiliser le terme « mouvance »), il refuse d’être l’otage des appareils, les dépassant pour impliquer la population dont une partie serait complice de ce refus de changement, n’acceptant pas de rendre uniquement responsable de la situation le « pouvoir » : « Une partie de la société a accepté ce qui se passait dans les milieux du pouvoir parce qu’elle était elle-même corrompue. Une partie de la population a été complice de la création et du maintien du système aujourd’hui contesté ».

Bouzar sait très bien que l’élément essentiel de tout Etat de droit demeure la justice, lieu d’articulation de la séparation des pouvoirs, il s’exprimait ainsi dans cette interview : « La justice ne saurait être expéditive. Elle doit s’exercer sans passion, avec le plus d’objectivité et de rigueur possibles, dans la sérénité. Et s’il y a arrestations, l’opinion publique doit être informée, au moins dans un délai raisonnable, de leurs motifs. (…) Emprisonné quelque 14 ans, Ahmed Ben Bella ne sera jamais jugé. En juin 1965, à un ambassadeur (l’ambassadeur de France) lui demandant où se trouve Ben Bella, Boumediene répond : « Sous mes pieds !».

Wadi Bouzar est malheureusement ignoré en Algérie alors qu’il a produit des textes majeurs.

Note : Né en 1938 à Rabat, professeur des Universités (sociologie culturelle) .Plusieurs œuvres : Romans, études universitaires, articles de presse, essais (dont le monumental « La mouvance et la pause : Regards sur la société algérienne », Alger 1983, 819 pages), édités en Algérie ( Sned,Enal, Enag, Opu..) et à l’étranger