Des chercheurs du Cread viennent de rendre publique (fin juin 2023) une enquête qui
évoque un début de constitution de trois communautés d’immigrés en Algérie qui
seront formées par «les Subsahariens, les Syriens et les Chinois».
Quelle est la situation des travailleurs
étrangers en Algérie ? Combien sont-ils ? Quels sont leurs
objectifs ? Ces questions viennent de faire l’objet d’une étude réalisée
par six chercheurs du Cread, en l’occurrence Mohamed Saïb Musette, Samir Djelti,
Hocine Labdelaoui, Idir Smail, Mohamed Maamar et Fethi Lahouel.
L’enquête intitulée
«Les trajectoires des travailleurs étrangers en Algérie : projet,
expérience et perspectives migratoires», publiée le 13 juin courant, fournit,
en effet, des données et des conclusions permettant d’avoir une idée plus
claire sur l’identité de la main-d’œuvre étrangère, sa situation sur le marché
du travail et ses projets pour l’avenir.
Couvrant cinq wilayas, à savoir Alger,
Oran, Tlemcen, Béjaïa et Tamanrasset qui sont considérées comme les principales
régions d’emploi des travailleurs migrants, l’étude a concerné, selon ses
auteurs, un échantillon de 309 travailleurs étrangers choisis selon la
technique «boule de neige».
Le document fait ressortir plusieurs
conclusions, dont celle concernant le profil des travailleurs étrangers en
Algérie. Ce dernier, précise l’étude, «a
connu un changement depuis le début de ce millénaire». «On relève une tendance à la baisse des
travailleurs migrants en situation régulière et une hausse sensible des
travailleurs étrangers sans aucune couverture sociale. L’intégration économique
des migrants en situation irrégulière, exerçant dans l’économie informelle est
désormais un défi constant», notent les
chercheurs.
Deux
catégories et des profils différents
L’étude s’attarde sur
l’analyse des profils des travailleurs migrants en Algérie. Elle relève
l’existence de deux catégories distinctes. Il y a, d’abord, les nouveaux
migrants arrivés au cours des cinq dernières années en provenance généralement
de l’Afrique subsaharienne. Ces derniers viennent, selon le document, «avec un niveau d’instruction faible, une
expérience professionnelle limitée, une situation financière mauvaise, une
intégration très faible et une espérance de réduction de la durée de transit
par l’Algérie». «C’est un profil de
migrants temporaires», soulignent les chercheurs du Cread. La deuxième catégorie est composée, selon l’enquête,
d'«anciens travailleurs migrants» qui
sont arrivés, généralement, des pays arabes et asiatiques. Ces travailleurs «sont plus instruits et expérimentés et plus
intégrés dans l’économie algérienne».
Trois
communautés d’immigrés en formation
Face à l’absence de
statistiques officielles sur le nombre de travailleurs étrangers en Algérie,
les enquêteurs ont été contraints de s’appuyer sur les données des organismes
internationaux, à l’image de l’agence onusienne Undesa.
Cette dernière a estimé, selon l’étude, le stock des étrangers à 250 400
personnes en 2020, soit 0,6% de la population algérienne résidente.
«De ces données, nous ne
retiendrons que le volume des réfugiés et de demandeurs d’asile qui semble être
cohérent, soit 66% de l’ensemble des étrangers en Algérie. Pour établir les
rapports entre les travailleurs étrangers migrants et le marché du travail en
Algérie, il convient de préciser que tous les étrangers en Algérie ne sont pas
nécessairement des migrants. De même, tous les migrants ne
sont pas automatiquement des travailleurs et que tous les étrangers en âge
d’activité n’ont pas systématiquement accès au marché du travail. Il y a
également des travailleurs étrangers qui n’ont pas besoin d’un permis de
travail pour exercer en Algérie», fait remarquer
l’étude.
Sur le marché du travail, il y a aussi
deux catégories : les salariés et ceux exerçant des activités
commerçantes. Se référant aux données de l’ONS, l’étude donne un chiffre de 62
976 salariés venant de trois pays, à savoir la Chine, la Turquie et l’Egypte
qui cumulent 75% des permis de travail délivrés, avec une forte intensité dans
le secteur des bâtiments, travaux publics et de l'habitat (BTPH). «Ces salariés sont repartis sur tout le territoire, avec une
forte concentration (50%) dans trois wilayas (Alger, Oran et Constantine).
On observe ainsi une tendance à la
hausse, à compter de l´année 2000, passant de 1000 permis environ jusqu’en
2016, avec un pic de 92 000, puis une baisse située autour de 20 000 en 2022.
Le volume des travailleurs étrangers ainsi estimé s'avérera plus important, si
on doit ajouter ceux qui ne sont pas soumis à une autorisation préalable pour
exercer en Algérie», note la même source.
Le nombre global des commerçants
étrangers inscrits au registre du commerce, ajoute l’étude, s’élève à 15 228
répartis en 2648 personnes physiques et 12 292 personnes morales. «S’agissant des personnes morales, les
nationalités des gérants les plus répandues sont française (15,7%), turque
(11,1%), syrienne (10,2%), tunisienne (9,3%) et chinoise (9,0%)», indique
aussi la même source.
Les personnes physiques, ajoute le
document, sont syrienne (31,6%), tunisienne (25,4%), marocaine (14,3%),
égyptienne (7,6%) et palestinienne (7,5%). Analysant ces chiffres, les
enquêteurs concluent à un début de constitution de trois communautés d’immigrés
en Algérie qui seront formées par «les
Subsahariens, les Syriens et les Chinois».
Économie
informelle
Précisant que les
employeurs, comme les travailleurs étrangers, activent avec un permis de
travail pour une durée limitée à la réalisation du projet, l’enquête précise
qu’il existe un segment de travailleurs migrants, en situation irrégulière, qui
exerce dans l’économie informelle, notamment dans les secteurs du bâtiment et
du commerce. «Cette tendance est
inversée actuellement.
Les migrants en situation irrégulière
sont devenus dominants sur le marché du travail. Et les conditions de travail
de ces migrants sont en fonction de la durée de présence en Algérie mais aussi
du niveau de vulnérabilité (jeune, femme) ainsi que de la qualité de leur
intégration dans le marché du travail», explique la même
source.
Mais pour l’écrasante majorité de ces
travailleurs étrangers, l’installation durable en Algérie n’est pas un
véritable projet. «Les perspectives des
travailleurs se déclinent en deux options : s’installer durablement en Algérie
ou quitter le pays. Dans le cas de la deuxième option, les migrants ont deux
probabilités : retour au pays d’origine ou engager un nouveau départ», conclut l’étude.