RELATIONS INTERNATIONALES-BIBLIOTHEQUE D’ALMANACH- ESSAI GHOULEM BERRAH-
« MES MISSIONS CONFIDENTIELLES .LE DOSSIER BOUMEDIENE/HOUPHOUËT
BOIGNY »
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© Le Soir d’Algérie/ Soraya Naili, lundi 12 juin
2023
C’est un ouvrage d’une grande
valeur historique. Mes missions confidentielles raconte
les échanges entre le président Houari Boumediène et
le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, de 1973 à 1975. À cette époque, Ghoulem Berrah était le
conseiller du président ivoirien. Ce dernier le chargeait régulièrement de
porter des messages au président Boumediène, dans le
plus grand secret.
Il était l’émissaire ou l’envoyé spécial des deux chefs d’État, qui
échangeaient à distance, sur des questions très sensibles. Des dossiers
politiques de l’époque dont certains sont toujours d’actualité à l’instar des
problèmes de la Palestine ou du Sahara occidental.
Ghoulem Berrah, ancien
conseiller du président ivoirien et ambassadeur (1938-2011) avertit dans
l’avant-propos «Mes missions confidentielles — de
prime abord, ce titre évoque une trahison, le dévoilement de secrets. Il n’en
est rien. Il s’agit de livrer au public ce que le président Houphouët-Boigny et
moi avons tenté d’accomplir dans la discrétion la plus absolue pour le
règlement de divers conflits à travers le monde et pour le développement
harmonieux du continent africain et du Tiers-Monde dans la paix et la dignité.
J’étais son émissaire auprès des différents leaders du monde.»
Le diplomate avait conservé tous les documents manuscrits. Les conversations à
distance entre les deux présidents ont été archivées et sont ressorties à
l’occasion de ce projet d’écriture. Ce sont donc les originaux de ces échanges
que les lecteurs pourront découvrir dans ce livre.
Dr. Ghoulem Berrah relate
comment les deux chefs d’État se sont rencontrés pour la première fois au
sommet de l’OUA en 1973, à Addis-Abeba, en Éthiopie. Cette première rencontre
fut anecdotique puisqu’elle a failli mal tourner à cause d’une entrave au
protocole commise par Ghoulem Berrah.
Tout a fini par s’arranger. «Ce sommet de l’OUA marqua
le début de relations profondes entre le président Houphouët-Boigny et le
président Boumediène. Le fait d’avoir établi des
relations harmonieuses entre les deux leaders résonna à travers le continent
africain et au-delà, entraînant des conséquences extrêmement constructives. Je
fus régulièrement envoyé à Alger par le président Houphouët-Boigny dans le
cadre d’échanges d’idées avec le président Boumediène.»
Lors de la guerre des Six Jours, appelée aussi la guerre du Ramadan ou la
guerre du Yom Kippour, comme l’écrit Dr. Berrah en
juin 1967, le président Nixon avait demandé au leader ivoirien de prendre
contact avec les présidents arabes pour leur transmettre le message de la volonté
des USA d’instaurer la paix au Moyen-Orient.
En tête-à-tête, avec Boumediène, l’émissaire exposa
le point de vue du président ivoirien arguant : «Les Américains et les Russes
sont responsables de la création d’Israël, et Israël n’est qu’une sentinelle
soutenue de façon indéfectible par le sionisme international présent partout et
très puissant, autant à l’Ouest que dans les pays communistes. Les Russes
partagent donc cette responsabilité, et aujourd’hui encore, ils ne sont pas
étrangers à la puissance d’Israël. Entre 1971 et 1973, l’Union soviétique a
laissé passer plus de 70 000 Juifs en Israël et des Juifs de grande valeur,
férus de connaissances techniques et technologiques.»
Le président Houari Boumediène apporta sa réponse :
«L’Afrique se trouve confrontée à un très grand problème et elle se doit d’y
faire face avec courage et détermination. Les peuples arabes et africains se
doivent d’adopter une position unie, une position de bloc, face à la horde
sioniste qui se trouve aujourd’hui à trente kilomètres de Damas et quelques
dizaines de kilomètres du Caire. Elle nargue non seulement l’opinion publique
arabe et africaine, mais également l’opinion publique internationale dans son
ensemble. Elle fait fi des décisions de l’instance suprême de l’ONU, et profite
du cessez-le-feu pour continuer son action et son dessein expansionniste.»
Un autre chapitre est consacré à la rupture diplomatique de la Côte d’Ivoire
avec Israël. D’autres échanges ont concerné des problèmes qui sont toujours
d’actualité, une cinquantaine d’années plus tard, comme la question de la
Palestine, l’embargo sur le pétrole et ses conséquences, les tensions entre
l’Algérie et le Maroc au sujet du Sahara occidental. «La
question du Sahara occidental était depuis longtemps un problème harcelant dans
les relations algéro-marocaines. Peu après l’indépendance de l’Algérie, le pays
se trouva à une croisée tumultueuse de chemins, ayant fait face à une
instabilité politique intense provoquée par les décisions autocratiques du
président Ben Bella. Suite à des incursions frontalières, des escarmouches avec
le Maroc entraînèrent une guerre plus étendue. La guerre dite des Sables
n’engendra pas un esprit de fraternité dans la région.»
Les tractations diplomatiques entre les deux chefs d’Etat, entre 1973 et 1975,
sont à découvrir dans cet ouvrage.
Ghoulem Berrah est né en
1938 à Aïn Beïda. Il a suivi des études de médecine à
Bordeaux. Il a été professeur de virologie à l’université de Yale (USA). Membre
de l’Académie des sciences de New York, il devint l’émissaire, l’ambassadeur et
le conseiller spécial (1965-1993) de Félix Houphouët-Boigny, le premier
président de Côte d’Ivoire. Il est l’auteur de Un rêve
pour la paix, sa biographie. L’ancien diplomate est décédé en 2011.
PS : Casbah Editions
, Alger 2023, 206 pages, 1300
dinars